Dans son rapport au conseil des droits de l’homme des Nations unies, la rapporteure spéciale, Agnès Callamard, appelle le secrétaire général de l’ONU à «ouvrir une enquête pénale» sur Mohammed Bin Salman.
Au terme de six mois d’enquête, Agnès Callamard, rapporteure spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, n’a aucun doute : «M. Khashoggi a été la victime d’une exécution délibérée, préméditée, d’une exécution extrajudiciaire dont l’État d’Arabie saoudite est responsable en regard du droit international lié aux droits de l’homme». Son rapport, publié mercredi par l’ONU, ajoute qu’il «existe des preuves crédibles justifiant des investigations supplémentaires, de la responsabilité individuelle d’officiels saoudiens de haut niveau, y compris le prince héritier» Mohammed Ben Salman (MBS), fils du roi Salman et homme fort de l’Arabie.
Exilé aux États-Unis où il écrivait régulièrement des articles pour le Washington Post, Jamal Khashoggi a été vu pour la dernière fois le 2 octobre dernier alors qu’il pénétrait au consulat général d’Arabie à Istanbul. Son corps n’a jamais été retrouvé. Le journaliste dissident était un critique de MBS.
L’experte de l’ONU appelle le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à «ouvrir une enquête pénale de suivi sur l’assassinat de M. Khashoggi afin de constituer des dossiers solides sur chacun des auteurs présumés». Pour Mme Callamard, le chef de l’ONU «devrait lui-même être en mesure d’ouvrir une enquête pénale internationale de suivi sans qu’un État n’ait à intervenir».
Une opération digne des pieds nicklés
Après avoir dans un premier temps nié le meurtre, Riyad avait avancé plusieurs versions contradictoires, et les autorités soutiennent maintenant que Khashoggi a été tué lors d’une opération non autorisée par le pouvoir. La justice saoudienne a innocenté MBS et mis en cause plus de 20 personnes, réclamant la peine de mort pour cinq hommes. Mais le cerveau de l’opération Saud Al-Qahtani, proche de MBS, n’a pas été inquiété.
Cette opération, digne des pieds nicklés, a considérablement nui à l’image internationale du royaume saoudien. Elle a fragilisé le pouvoir de MBS, mais, au fil des mois et fort de l’appui renouvelé de son père et de l’administration Trump, le jeune prince héritier a réussi à s’extraire de cette calamiteuse affaire. La semaine dernière, MBS a appelé «à ne pas politiser» l’affaire Khashoggi.
Ce nouvel élément va-t-il remettre la pression sur MBS? Probablement pas. Agnès Callamard présentera son rapport au conseil des droits de l’homme des Nations unies le 26 juin, mais, comme tous les autres experts indépendants de l’ONU, elle ne parle pas au nom des Nations unies. D’autre part, même si la CIA impute le crime à MBS, selon des informations de presse américaine, la communauté internationale semble avoir reculé dans son exigence initiale de faire toute la lumière sur ce crime odieux. Témoin de ce recul, Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, devrait se rendre à l’automne en Arabie Saoudite, première visite d’un ministre français à Riyad depuis l’assassinat de Jamal Khashoggi. En début d’année, Emmanuel Macron affichait pourtant une «attente exigeante» envers Riyad.