Les menaces sur la presse et leurs animateurs se sont particulièrement accentuées depuis les coups d’Etat du 24 janvier 2022 et du 30 septembre de la même année.
La situation sécuritaire difficile du pays est un prétexte pour tenter d’embrigader les médias et restreindre la liberté d’expression. L’enrôlement forcé de Boukari Ouédraogo, citoyen burkinabè à qui il est reconnu le droit inaliénable de dire ce qu’il pense de ceux qui ont la charge de la gestion des affaires publiques dans ce pays est illustratif des dérives qui s’annoncent.
Plus d’une fois, nos organisations ont pourtant attiré l’attention des décideurs sur les limites de l’approche qui consiste à opposer la lutte contre le terrorisme à la liberté d’expression et à la liberté de la presse en particulier. Nous avions toujours soutenu que dans un contexte de crise comme celui que connait le Burkina Faso, les journalistes ont encore un rôle plus important en ce sens qu’ils doivent faire preuve d’une plus grande affirmation de leur mission de sorte à ce que la profession participe à la recherche des solutions aux difficultés que vivent notre pays. Dans cette perspective, les journalistes en toute responsabilité ne peuvent fermer les yeux sur la conduite du pays au risque de démissionner tout simplement de leurs missions et responsabilités. Plus qu’en temps ordinaire, les journalistes doivent exiger des gouvernants encore plus de transparence, de bonne gouvernance et de redevabilité. C’est seulement à ce prix que les appels à la mobilisation générale et à l’unité nationale, conditions essentielles pour dompter nos défis communs, seront crédibles et légitimes.
Du reste, il est largement établi que le secteur de la sécurité souffre de beaucoup de maux et de lacunes qui, pendant longtemps, n’ont pas permis à notre Armée de faire face conséquemment à son devoir régalien de défense de notre territoire face aux terroristes et autres menaces extérieures. Si ces maux sont en voie de résorption aujourd’hui, cela n’a été possible que grâce au travail de la presse et aux multiples interpellations citoyennes.
Aussi, les journalistes doivent en ces moments critiques de l’histoire de notre pays, pousser à son niveau le plus élevé le professionnalisme, y compris l’exigence de vérité, d’honnêteté et de pluralité qui constituent des valeurs cardinales de cette profession.
Pour peu que l’opinion nationale et les autorités veuillent reconnaitre le rôle joué par la presse burkinabè dans le cheminement de notre nation et particulièrement dans des moments critiques de son histoire, il est évident que c’est un acteur qui ne s’est jamais débiné mais au contraire, elle peut se dire fière de ce qu’elle a pu apporter comme contribution. Dans un pays comme le nôtre, la presse a souvent évité tout simplement que les fondements qui font de nous une nation, un peuple, ne soient érodés et conduisent à l’effondrement de l’édifice.
Comme toujours, la presse a usé de sa mission d’alerte dès les premiers moments de cette crise sécuritaire. Malheureusement, elle n’a pas été entendue. Par une simple revue de presse, avant que les chercheurs ne nous départagent sur une étude scientifique, même le plus malhonnête des détracteurs de la presse s’apercevra combien les journalistes burkinabè par leurs abondantes productions (enquêtes, reportages, comptes-rendus, entretiens, éditoriaux, plateaux de débats, etc.) ont été au cœur de la crise non pas dans le présumé mauvais rôle qu’on tente de lui coller aujourd’hui mais comme une mission patriotique de sauvegarde de la nation. Pendant ces huit années, la presse a été au cœur de ce combat qui a empêché que notre pays ne sombre littéralement. Aujourd’hui, certains de nos concitoyens, y compris des autorités, pour des desseins que nous ignorons pour l’instant, accusent les médias de mettre leurs plumes, leurs caméras et leurs micros au service des terroristes. Sacrilège ! Ceux qui tiennent ce genre de discours ont un problème avec la vérité.
La haine contre les médias et les journalistes s’est accentuée depuis l’arrivée du Capitaine Ibrahim Traoré sur la scène politique. Le Président de la Transition, le Capitaine Ibrahim Traoré, le Premier ministre, Me Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambèla et le ministre chargé de la Communication, notre confrère Jean Emmanuel Ouédraogo, dans leurs sorties médiatiques, loin d’apaiser la situation du haut de leur lourde responsabilité nationale, ces autorités ont parfois contribué à jeter les journalistes en pâture. Certains de leurs propos, loin d’être rassembleurs, portent les germes de la division des burkinabè à cause des préjugés sur le degré de patriotisme dont personne ne connait l’unité de mesure. Leurs relais, des activistes de la société civile et des réseaux sociaux, des analystes en tous genres, des experts et des intellectuels de service, chauffés à blanc se font les apôtres de la diabolisation des médias et des journalistes. Certains vont jusqu’à appeler à guillotiner tous les journalistes qui pensent différemment d’eux.
A visage découvert, sans crainte ni respect pour l’autorité judiciaire ou administrative, soit par défiance ou par complicité tacite, ils se sont mués en régulateur de la presse, en censeurs des journalistes, et en justicier pour distribuer les bons points aux journalistes dits « patriotes » et les mauvais points aux journalistes dits « apatrides ». Encore faut-il qu’ils comprennent le sens réel du terme « apatride ».
On a assisté et on assiste encore à des appels incessants aux meurtres de journalistes et de leaders d’opinion, des cabales montées de toute pièce pour salir la réputation de certains de nos confrères. Les menaces et autres intimidations sur les professionnels des médias se sont multipliées ces derniers jours.
Ces fatwas sur la presse burkinabè s’inscrivent dans un plan machiavélique de diabolisation du travail des journalistes, dont le seul malheur est de refuser le bâillonnement, l’instrumentalisation, la dictée de la pensée unique et la déification de l’autorité.
La liste des journalistes à abattre vaille que vaille ne fait que s’élargir. Sans être exhaustif, les confrères Boowurosigué Hyacinthe Sanou, Boukari Ouoba, Lamine Traoré, Lookman Sawadogo, Newton Ahmed Barry, Alain Traoré dit Alain Alain et la Radio Oméga ont été nommément cités, il y a quelques jours, comme des ennemis de la patrie, qui méritent d’aller pourrir en enfer. Quelle horreur ! Bien plus tôt, certains soutiens du MPSR ont taxé les Organisations professionnelles des médias d’être des terroristes et des organisations à décoloniser.
Qui l’eut cru dans ce pays, après que le célèbre journaliste Norbert Zongo ait été tué et brûlé à Sapouy avec trois de ses compagnons, un certain 13 décembre 1998 par des assoiffés du pouvoir qui ne supportaient plus la critique ?
Tous ces appels aux meurtres des journalistes viennent nous rappeler que rien n’est définitivement acquis et que le sacrifice du Directeur fondateur de L’Indépendant il y a 25 ans n’a pas servi de leçons aux nervis du nouveau pouvoir.
Par ailleurs, les nouvelles autorités militaires, dans leur volonté de régenter l’information, ont pris sur elles la responsabilité de fouler aux pieds les lois en se substituant à l’autorité de régulation qu’est le Conseil Supérieur de la Communication (CSC). Outre les velléités d’immixtion, d’intimidation et de contrôle de la presse nationale publique et privée, les autorités ont ainsi décidé de suspendre des médias internationaux RFI et France 24 et d’expulser les correspondants de Libération et Le Monde.
Faut-il le rappeler, les ennemis du Burkina Faso et de tous les Burkinabè ce sont bien les terroristes et le terrorisme. Les autorités gagneraient à recentrer tous les efforts sur cet objectif qui a été l’argument principal pour justifier les coups d’Etat du 24 janvier et du 30 septembre 2022. En tout état de cause, s’en prendre aux journalistes pour espérer gagner la guerre contre le terrorisme, c’est se bercer d’illusion comme qui casserait le thermomètre en pensant baisser la fièvre. Non, le thermomètre n’est que l’indicateur, il n’est jamais la cause de la fièvre.
Avec beaucoup de responsabilité et de professionnalisme, la presse burkinabè fournit des photographies de la situation réelle de notre pays (quand c’est bien tout comme quand c’est mauvais) et interpelle les autorités afin que les politiques et le niveau d’engagement des forces vives soient à la mesure des défis. Ne nous voilons pas la face, le musellement de la presse ne crée pas la sécurité, il génère tout au plus le sentiment de sécurité, exactement à l’image de l’autruche qui se croirait en sécurité par le simple fait de se vautrer la tête dans un tas de sable.
Les autorités et leurs soutiens inconditionnels doivent se rendre à l’évidence que la répression de la presse n’a jamais été une solution. A propos, le philosophe et journaliste Albert Camus disait « La Presse quand elle est libre, elle peut être bonne ou mauvaise mais quand elle ne l’est pas, assurément elle ne peut être que mauvaise ». Il faut se garder de fabriquer une mauvaise presse pour le Burkina Faso.
En ces moments particulièrement difficiles, les Organisations professionnelles des médias (OPM) signataires de la présente déclaration :
– condamnent avec la dernière énergie l’agression barbare et injustifiée de notre peuple par les groupes armées terroristes ;
– réaffirment leur soutien total aux forces de défense et de sécurité ainsi qu’aux volontaires pour la défense de la patrie, engagés pour la libération totale de notre pays ;
– compatissent à la douleur de toutes les familles éprouvées par la perte de l’un des leurs, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ;
– traduisent leurs vœux de prompt rétablissement à tous les blessés ;
– apportent leurs compassions et leurs soutiens à toutes les personnes déplacés internes ;
– réitèrent leur soutien ferme et indéfectible à tous les journalistes ainsi qu’à tous les médias victimes de la méchanceté gratuite des mercenaires d’un autre temps à jamais révolu dans notre pays ;
– regrettent la suspension de RFI et de France 24 par le gouvernement ainsi que l’exclusion des correspondants de Libération et Le Monde ;
– condamnent et attirent l’attention sur le précédent grave que crée le gouvernement de Transition, en se substituant à l’autorité de régulation qu’est le CSC ;
– tiennent le Président, le Premier ministre, le Ministre chargé de la Communication, leurs relais civils et militaires, pour responsables de toutes les agressions et tous les accès de haine subis par les médias et les journalistes ;
– appellent les journalistes à rester professionnels et vigilants et à faire preuve de résilience et d’audace, le tout dans un esprit républicain et responsable ;
– invitent tout le peuple burkinabè, particulièrement les défenseurs des droits humains et les démocrates sincères de notre pays à se mettre débout pour dénoncer tous les comportements anti sociaux et barrer la route à toute dictature d’où qu’elle vienne ;
– demandent aux autorités de la Transition, notamment au capitaine Ibrahim Traoré de dénoncer ouvertement et de se démarquer clairement de tous ces nouveaux génocidaires qui s’ignorent et qui utilisent les réseaux sociaux pour distiller des messages de haine ;
– invitent les autorités politiques administratives et sécuritaires à prendre toutes les dispositions nécessaires afin d’assurer la protection des journalistes et médias menacés ;
– exhortent la justice burkinabè à prendre les devants et à s’assumer entièrement en traquant et en sanctionnant à la hauteur de leurs forfaits, tous ceux qui appellent au meurtre des journalistes et des citoyens en général ;
– interpellent les organisations sous régionales et interafricaines sur l’urgence de donner de la voix face au diverses dérives contre la liberté d’expression et de la presse et la montée du discours de la haine dans notre pays.
Fait à Ouagadougou, le 13 avril 2023
Pour le CNP-NZ,
Le Président
Inoussa Ouédraogo
Pour l’AJB,
Le Président
Guézouma Sanogo
Pour la SEP,
Le Secrétaire Général
Abdoulaye Tao
Pour le SYNATIC,
Le Secrétaire Général
Siriki Dramé
Pour Reporters du Faso,
Le Président
Moumouni Simporé
Pour l’AEPJLN,
Le Coordinateur
Evariste Zongo
Pour l’APAC,
La Présidente de la transition
Bénédicte Sawadogo
Pour l’AEPML,
Le Président
Dr. Cyriaque Paré