Depuis quelques années les enseignants constatent des imperfections dans l’organisation des examens du Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC) et du Baccalauréat (BAC). Quelles sont ces imperfections ? Quelles conséquences peuvent-elles avoir sur les examinateurs et sur les résultats de ces examens ? Quelles solutions envisager ?
Parmi les failles qui émaillent l’organisation des examens scolaires dans notre pays, il y a d’abord la tendance des directeurs régionaux et du directeur de l’office du BAC à obliger la plupart des examinateurs à corriger et à administrer les épreuves écrites et orales à leurs propres élèves dans les centres d’examen qui se trouvent dans leur lieu de résidence. Or, l’enseignant, contrairement au travailleur d’autres corps, pour être efficace dans sa profession, se doit de pénétrer positivement son milieu, en connaître parfaitement les réalités afin d’en tirer les conséquences pédagogiques au bénéfice des apprenants.
Dans ces conditions, choisir délibérément de maintenir la quasi-totalité des enseignants dans leur lieu de résidence— qui plus est dans de petites localités comme Pô, Saponé, Kombissiri, Manga, et bien d’autres, où presque tous les élèves et leurs parents connaissent la plupart des enseignants, leurs domiciles et leurs lieux de fréquentation— pour qu’ils évaluent leurs élèves, leurs amis et camarades travailleurs, c’est les mettre en antagonisme avec leur milieu, ce qui est fortement préjudiciable à l’objectivité des évaluations et à la sécurité des examinateurs. A Pô par exemple, sur douze(12) enseignants du lycée provincial retenus pour la correction des épreuves du baccalauréat session 2015, onze(11), y compris les examinateurs de langues, étaient résidants. Et c’est pratiquement les mêmes chiffres dans la majorité des centres d’examen du pays.
En effet, il est évident qu’un enseignant qui tient une promotion d’élèves de la sixième à la troisième ou de la seconde à la terminale (c’est très souvent le cas) est capable d’identifier les copies de ses élèves parmi tant d’autres, ce qui rend ainsi caduque la laborieuse mesure d’anonymat imposée aux présidents des jurys et remet en cause la confidentialité et l’impartialité de l’évaluation. Et que dire de l’examinateur des épreuves orales (allemand, anglais, etc.) qui se retrouve face à face avec ses élèves, ses amis et connaissances du quartier ? Le moins qu’on puisse dire c’est qu’un tel examinateur est dans un embarras certain. Que faire si l’enfant du voisin ne s’en sort pas ? Faut-il lui donner la note qu’il mérite au risque d’être par la suite mis en quarantaine par son voisinage et indexé comme le grand méchant, voire agressé ? Où faut-il donner une note complaisante au risque d’être en porte-à faux avec la déontologie de son corps et traqué par le remords ? Voilà qui est un véritable dilemme.
A ce sujet, les cas sont légion d’examinateurs résidants qui, pour avoir osé faire correctement leur travail, ont reçu des menaces voilées ou ouvertes, ont vu leurs relations avec l’entourage détériorées. Et dans un monde scolaire de plus en plus violent, personne ne peut affirmer que le pire n’arrivera pas un jour. Mieux vaut donc prévenir que guérir.
Au regard de tous ces problèmes auxquels font face les examinateurs résidants, ―surtout des petites localités ―on se demande pourquoi les directeurs régionaux et le directeur de l’office du BAC continuent de faire la sourde oreille malgré les suggestions et recommandations faites par les enseignants à chaque fin de session et consignées dans les rapports des présidents des jurys, à leur intention. Est-ce par soucis d’économie ? Si oui, la vie des enseignants, la crédibilité des examens et l’avenir du pays, ne sont-ils pas bien plus importants que quelques millions de francs CFA d’économisés ? Ou est-ce par méconnaissance de l’environnement scolaire ? Bien entendu, si on est directeur régional ou directeur de l’office du BAC et on ne fait pas l’effort de se rendre de temps en temps sur le terrain, y rencontrer formellement les acteurs directs et s’en imprégner les réalités, on ne peut que commettre de pareilles erreurs.
En sus du problème des correcteurs résidants, il y en a bien d’autres :
Dans les grands centres comme Ouagadougou et Bobo Dioulasso, des correcteurs sont parfois à cheval entre plusieurs jurys de sites différents, ce qui les contraint à des va-et-vient incessants et leur complique énormément la tache ; d’autres parcourent des dizaines de kilomètres pour rejoindre leurs jurys. Tout çà sans aucun accompagnement spécifique ; tout çà à leurs risques et périls.
Certains présidents de jurys du Bac sont seuls à diriger plusieurs jurys, ce qui rend les travaux de délibération exagérément longs et fastidieux.
Le comportement parfois incompréhensible de certains directeurs régionaux et directeurs de l’office du BAC qui, après avoir émis des convocations aux noms d’enseignants probes et éminemment compétents, les annulent par la suite sans raison au profit d’autres enseignants. Cela parait frauduleux. Dorénavant, les auteurs de tels actes seront publiquement dénoncés et impitoyablement trainés devant les tribunaux.
Le temps imparti au déroulement des examens (12 jours pour le BEPC et 17 jours pour le BAC) est largement insuffisant. Cela oblige les examinateurs à travailler sous haute pression ―certains-mêmes se dopent― chose qui n’est pas sans conséquences sur leur santé et sur les résultats des examens.
Le budget alloué aux directions régionales pour l’organisation pratique des deux examens est géré de façon opaque. Aucun bilan n’est porté à la connaissance des examinateurs, ni en amont, ni en aval, ce qui ne manque pas d’alimenter la suspicion.
Le caractère dérisoire de la prise en charge des examinateurs ― nous faisons l’économie des détails― est démotivant pour des gens déjà exténués par huit mois de dur labeur dans des classes pléthoriques et qui, par patriotisme, acceptent malgré tout de se sacrifier jusqu’au bout…
Sans être exhaustif, voilà certaines des insuffisances qui minent l’organisation de nos deux examens nationaux. A l’analyse de la façon dont ces examens sont organisés, l’on est en droit de penser qu’il y a deux poids deux mesures. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’au plus haut niveau de l’Etat, le même sérieux, la même attention― nous ne disons pas les mêmes moyens― ne sont pas accordés aux examens scolaires qu’à d’autres activités d’intérêt national.
Mais l’essentiel n’est pas de dresser une longue liste de problèmes. Le plus important c’est surtout d’explorer les pistes pouvant concourir à la résolution de ces problèmes.
Aussi, nous faisons les suggestions suivantes :
– Les plus hautes autorités de l’Etat doivent inscrire les examens scolaires sur la liste des priorités nationales et rendre incompressibles les dépenses liées à leur organisation.
– Dans le choix des correcteurs, accorder la priorité aux enseignants titulaires de classes d’examen.
– Déplacer systématiquement tous les examinateurs en charge d’administrer les épreuves orales de toutes les villes moyennes qui abritent les centres d’examen.
– Déplacer au moins trois quart (3/4) des examinateurs en charge de corriger les épreuves écrites.
– Echanger, le cas échéant, les copies entre les centres d’examen. Dans cette alternative, seuls les examinateurs des épreuves orales seront déplacés.
– Retenir suffisamment de correcteurs, de présidents de jury et d’encadreurs pédagogiques afin de rendre les travaux plus efficients.
– Prolonger le temps du déroulement des examens (3 semaines pour le BEPC et un mois pour le BAC).
– Impliquer les représentants des structures syndicales dans l’organisation pratique des examens.
– Faire un compte rendu exhaustif des moyens humains, matériels et financiers mis à la disposition des directions régionales pour l’organisation des deux examens, à l’intention de tous ceux qui y participent et dresser un bilan moral et financier à la fin de chaque session.
– Améliorer sensiblement la prise en charge des examinateurs.
Si ces suggestions ―quoique non exhaustives― sont prises en compte par qui de droit, cela permettra, nous en sommes persuadés, de prévenir bien de problèmes qui pourraient surgir avant l’échéance des prochaines sessions.
Que l’on se comprenne. Notre écrit ne doit pas être perçu comme une attaque ou un règlement de compte à l’endroit de qui que ce soit. Nous sommes seulement mus par la volonté de contribuer à l’édification de notre chère patrie et nous pensons qu’en tant qu’acteur du système, nous sommes en devoir de le faire.
Ceci dit, et en entendant que des voix plus autorisées reviennent plus en détails sur la problématique de l’organisation des examens scolaires, nous avons voulu tirer sur la sonnette d’alarme afin d’alerter l’opinion nationale sur la question. Car, nous avons la forte impression que l’enseignant et sa profession ne sont pas du tout considérés dans notre pays(en témoignent les propos du genre : « ce n’est qu’un pauvre enseignant » ; « il n’a obtenu qu’un emploi d’enseignant », « mêmes les enseignants réclament un statut particulier »…).
Pourtant, les enseignants, nous en sommes persuadé, bien que victimes d’une ingratitude nationale, ne sont pas moins utiles à la nation burkinabè que certains sur qui tombent quotidiennement des averses de primes, dons et autres fonds volés, pardon ! Fonds communs, au point qu’ils sont obligés d’ériger leur domicile en banque.
Nous interpellons donc les pouvoirs publics à faire en sorte de revaloriser l’enseignant et sa fonction ; il y va de l’avenir de la patrie.
En tout état de cause, au-delà des problèmes ici posés, nous attendons des gouvernants(actuels et futurs) de notre pays qu’ils nous fassent tourner de la plus belle manière les pages sombres de l’ère Compaoré et de faire en sorte que « le plus rien ne sera comme avant » du Président Kafando ne soit pas seulement des mots vides de sens, mais des comportements observables et mesurables chez tout Burkinabè digne de ce nom.
Bon mois de Ramadan à tous les Burkinabè. Que DIEU protège et sécurise notre pays !
Pô le 30 juin 2015
Soumaïla OUEDRAOGO,
Professeur certifié de l’enseignement secondaire.
Tél : 76576077/70089590