L’artiste guinéen Mory Kanté s’est éteint à l’âge de 70 ans

L’artiste guinéen Mory Kanté s’est éteint à l’âge de 70 ans ce 22 mai dans un hôpital de Conakry, des suites de maladie. L’interprète du tube mondial Yé Ké Yé Ké a fait voyager les sonorités mandingues bien au-delà du continent africain, participant ainsi à l’avènement de la world music.

En quatre syllabes, Mory Kanté a fait entrer la musique africaine dans une autre dimension. Avec Yé Ké Yé Ké, paru en 1987, les portes du succès commercial international se sont tout à coup ouvertes à un point inédit pour un artiste du continent. À travers ce tube planétaire qui lui a permis de remporter une Victoire de la musique en France pour son album Akwaba Beach, le chanteur guinéen a aussi porté une image différente de l’Afrique, en rupture avec certains stéréotypes : une couleur sonore qui correspondait aux productions de son époque, un son moderne tiré… d’un instrument ancien, qui pourrait aisément symboliser les cultures de l’Ouest africain. La kora, cette demi-calebasse surmontée d’un long manche sur lesquelles sont positionnées 21 cordes, était pour Mory Kanté un lien entre sa terre originelle et le reste du monde.

La famille très nombreuse – il serait le 38e enfant de la fratrie ! – dans laquelle il vient au monde en 1950, dans un village du centre de la Guinée, alors colonie française, est celle d’un griot réputé. « Ça ne pouvait qu’être ma vocation », confiait-il récemment à RFI, soulignant le caractère héréditaire de ce rôle social dans la société mandingue.

L’ordre des choses n’est toutefois pas immuable et l’étudiant à l’Institut des arts de Bamako, ville où il a été envoyé dès ses sept ans, va en donner la preuve en rejoignant la formation du Rail Band où s’illustre le jeune Salif Keita, dont le répertoire cherche à transposer l’influence occidentale des bases locales. La cohabitation de leurs talents respectifs nourrira a posteriori nombre de rumeurs sur d’éventuelles rivalités…

Mais c’est surtout en optant pour la kora, alors qu’il était destiné au balafon emblématique des griots, que Mory Kanté s’émancipe. « C’est ma première femme », aimait-il rappeler, en faisant allusion à l’exemplaire que lui avait légué Batourou Sékou Kouyaté. « Qu’elle te nourrisse et qu’elle nourrisse tes enfants et petits-enfants », lui avait dit l’éminent membre de l’Orchestre national du Mali. Il est le premier à électrifier cet instrument, avec lequel il s’était évidemment produit en clôture de la Nuit africaine organisée au Stade de France devant 80 000 personnes en 2011. « Même si on m’a traité de profanateur, mon vœu a été exaucé car elle est jouée dans de nombreux orchestres modernes », se félicitait celui surnommé depuis lors le « griot électrique ».

Premier album solo

Cette phase de recherche s’était déroulé durant ces années à Abidjan, au tournant des années 1980, quand la capitale économique ivoirienne devient un haut lieu de l’industrie musicale du continent et attire les artistes des pays voisins. Pourtant, c’est au Togo qu’il conçoit en 1981 son premier album (réenregistré à paris en 1993), dans le studio de l’Office togolais du disque qui est alors le plus sophistiqué de toute la sous-région.

Une première version de Yé Ké Yé Ké figure trois ans plus tard sur le vinyle Mory Kanté à Paris. À cette époque, la capitale française est devenue à son tour au milieu de la décennie un élément central du développement de la scène musicale africaine francophone et les chansons du Guinéen se nourrissent de cette diversité, puisque l’on trouve à ses côtés aussi bien le Camerounais Hilaire Penda que l’Ivoirien Rato Venance du groupe Bozambo.

Rapidement, Mory Kanté gagne en visibilité : un nouvel album, Ten Cola Nuts, produit par un musicien de Bruce Springsteen ; puis le chanteur français Jacques Higelin, au faîte de sa notoriété, le fait jouer au début de ses concerts à Bercy devant 16 000 personnes. Dans la foulée du raz de marée provoqué par Yé Ké Yé Ké, des collaborations prestigieuses s’enchaîneront : avec Carlos Santana sur l’album Toma, ou encore avec un ensemble de 130 musiciens à Paris lors de l’inauguration de la Grande Arche de La Défense.

Construction d’un complexe culturel

Si ses projets suivants connaissent un moindre retentissement, l’artiste tient à conserver la même démarche avant-gardiste, entre afro-dance et techno, avant d’opérer un retour aux sources au début du millénaire avec Sabou, un album acoustique. À Conakry, il fait construire un complexe culturel, qui réunit des infrastructures bienvenues pour les musiciens locaux. Quand il n’est pas en France ou en tournée aux quatre coins du monde où on continue à le demander régulièrement, il y passe pour donner ses conseils. « Gratuitement », précisait-il.

La Guinéenne, son dernier album en date commercialisé en 2012, y a été longuement élaboré, avec ce soin qui caractérise les arrangements si affectionnés par le chanteur. Sollicité par le « maestro » Boncana Maiga qui avait remis sur pieds Las Maravillas de Mali en 2018, il avait accepté de prendre part à cette aventure afrocubaine pour quelques concerts, avant de livrer en 2019 ce qui fait aujourd’hui figure de testament : un livre-disque intitulé Cocorico ! Balade d’un griot, récompensé par l’Académie Charles-Cros, dans lequel Mory Kanté décrit une enfance africaine qui pourrait être la sienne. Transmettre, le mot clé des griots, qu’ils soient ou non électriques.

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